14 octobre 1968: 8 diamants noirs pour un 100m historique
Il y a 50 ans, lors des JO de Mexico 68, pour la première fois de l'histoire, tous les sprinters qualifiés pour la finale du 100 mètres sont noirs. L’Américain Jim Hines, premier homme à passer le mur des 10 secondes, s'offre l'or olympique...
- Publié le 14-10-2018 à 14h43
Il y a 50 ans, lors des JO de Mexico 68, pour la première fois de l'histoire, tous les sprinters qualifiés pour la finale du 100 mètres sont noirs. L’Américain Jim Hines, premier homme à avoir cassé le mur des 10 secondes, s'offre l'or olympique...
Mexico City. 14 octobre 1968. Le speaker de l'University Olympic Stadium énumère le nom des athlètes qui, dans quelques secondes, vont partir à la conquête de l'or olympique au bout d'un sprint de 100m.
Couloir 1, Charlie Green, USA. Couloir 2, Pablo Montes, Cuba. Couloir 3, Jim Hines, USA. Couloir 4, Lennox Miller, Jamaïque. Couloir 5, Melvin Junior Pender, USA. Couloir 6, Roger Bambuck, France. Couloir 7, Harry Jerome, Canada. Couloir 8, Jean-Louis Ravelomanantsoa, Madagascar.
Huit athlètes, huit espérances, trois médailles… mais une qualité commune. Pour la première fois de l'histoire olympique, tous les concurrents de la finale du 100m sont noirs. Les Blacks ont officiellement pris le pouvoir ce jour-là, quelques jours avant les poings levés de Tommie Smith et John Carlos, pour célébrer le Black Power. Pourtant, le vainqueur du 100m de Mexico ne se revendiquait pas du mouvement américain qui luttait contre la ségrégation raciale. Dans les starting-blocks, Jim Hines n'avait qu'une lutte en tête: gagner celle qui devait lui permettre d'entrer dans l'histoire.
Un peu plus de trois mois auparavant, le 20 juin 1968, lors des championnats US, l'Américain est devenu le premier homme à descendre sous la barre des 10 secondes sur 100m : 9,9 chronométrage manuel. Mais certains avaient émis des doutes sur son exploit : le chronométrage électronique, utilisé en test et qui ne servait pas à donner le temps officiel, indiquait 10.03. À Mexico, aidé par l'altitude (2.240 m) et une piste annoncée ultra-rapide, il sait qu'il peut faire mieux encore. Jim Hines s'impose en 9.95 (chronométrage électrique !) devant le Jamaïcain Lennox Miller (10.04) et Charles Greene (10.07).
Et dire que Hines n'aurait jamais dû courir à Mexico. Un an auparavant, en 1967, il devait en effet signer un contrat professionnel avec l’équipe de football américain des Miami Dolphins. Mais son entraîneur, l’ancien sprinter Bobby Morrow, triple champion olympique en 1956 à Melbourne, persuadé que son poulain pouvait devenir le pur-cent de l'année au Mexique, allait le convaincre de postposer son changement de cap. Avec succès : champion sur 100m, Hines sera également doré avec le relais 4x100 m, associé à Charles Greene, Ronnie Ray Smith et Mel Pender (38.24, record du monde). Après les JO 68, il réalise enfin le rêve qu'il caressait depuis son enfance, et devient footballeur américain avec les Miami Dolphins...
À Mexico, cette finale du 100m est donc entrée dans l'histoire à double titre, pour sa noire composition et son résultat d'anthologie. La course au record était lancée.
L’évolution de la technologie a directement contribué à améliorer les performances des athlètes. Particulièrement sur 100m…
“Avant 1891, le meilleur performer courait le 100 m en 11 secondes. A l’époque, il courait sur des pistes en cendrée (brique pilée), il n’y avait pas de starting-block et le chrono était manuel", explique Thierry Zintz, professeur à l'UCL et vice-président du COIB. "Lorsque Jim Hines fait un chrono de 9.95 à Mexico en 1968, il bénéficie du chronomètre électronique et court pour la première fois sur un tapis synthétique.”
Depuis 1968, le record du monde du 100m est détenu à 100% par des athlètes noirs. Qu'est-ce qui explique une telle domination?
Des facteurs morphologiques sont le plus souvent avancés. Notamment dans une étude publiée dans l’International Journal of Design and Nature and Ecodynamics, qui dit que cette suprématie s’expliquerait par l’emplacement du nombril! En effet, la place du nombril correspond au centre de gravité du corps de l’homme. L’étude révèle que pour deux individus blanc et noir de taille égale, le nombril se situe plus haut chez l’individu originaire d’Afrique de l’ouest. "Cette différence concéderait aux athlètes noirs un avantage caché de 3 %. À l’inverse, ce qui se révèle être un avantage pour la course prend la forme d’un handicap en ce qui concerne la natation…"
Jean-Philippe Leclaire, auteur du livre Pourquoi les blancs courent moins vite avance aussi des raisons organisationnelles. "Le système de détection et de formation des sprinters en Jamaïque est unique au monde. Dans ce pays, le sprint est structuré par le système scolaire dès l’école primaire, où a d’ailleurs été repéré Usain Bolt", écrit-il. Mais l'ancien rédacteur en chef de L'Équipe ne rejette pas non plus la théorie basée sur la génétique "hypothèse la plus séduisante". Des scientifiques ont en effet découvert au début du XXIe siècle ce qu'ils ont appelé "le gène du sprint", le ACTN3 qui, selon sa force, favoriserait l'explosivité des fibres musculaires. Et les Jamaïcains, par exemple, seraient plus souvent porteurs du gène fort.
Il fallut en effet attendre 2010 pour voir le premier sprinter blanc courir le 100 m en moins de 10 secondes: Christophe Lemaitre (20 ans) gagnant, en 9.98 (!), la finale des championnats de France le vendredi 9 juillet 2010, à Valence. Poussé par un vent favorable de +1,3 m/s, Lemaitre était devenu le... 72e sprinter à franchir ce chrono mythique depuis l’apparition du chronométrage électronique lors de la course mexicaine de Jim Hines. Ils sont aujourd'hui 137…
Un Belge aurait pu réussir cette perf bien avant: le regretté Ronald Desruelles est passé tout près, et reste encore aujourd'hui le recordman de Belgique du 100m en 10.02 secondes, réussis à Naimette-Xhovémont le 11 mai 1985.
Les murs du 100
De Jim Hines (9.9) à Usain Bolt (9.69), en passant par Carl Lewis et Maurice Greene
L’athlétisme est constitué de barrières, souvent plus psychologiques que réelles, dont certaines sont aussi plus mythiques que d’autres. C’est le cas sur 100 m, l’épreuve-reine, où les barrières sont tombées, les unes après les autres, de l’Américain Hines (9.9), en 1968, au Jamaïcain Bolt (9.69), en 2008.
- 1968 Hines 9.9
Athlète puissant d’1,83 m pour 81 kg, Jim Hines fut le tout premier à descendre sous les dix secondes. C’était le 20 juin, à Sacramento, lors des championnats des Etats-Unis. Poussé par un vent favorable de 1,4 m/s, Hines y a devancé Smith de plus d’un mètre, le chrono se figeant sur les chiffres 9.9. Curieusement, Smith fut crédité du même chrono ! Quelque temps plus tard, Jim Hines devint champion olympique en 9.95, chrono électronique.
- 1991 Lewis 9.86
Tokyo, 25 août 1991. Finale du 100 m aux Championnats du Monde. Leroy Burrell s’y est présenté en recordman du monde (9.90), mais ce fut Carl Lewis qui l’emporta en 9.86, pour 9.88 à Burrell, devenant le premier athlète sous les 9.90. Lors de cette course, six athlètes terminent sous la barrière des 10 secondes!
- 1999 Greene 9.79
Alors qu’il a introduit dans le sprint un nouvel imaginaire, celui des gangs et des tatoués, Maurice Greene, déjà champion du monde en 1997, à Athènes, est revenu sur cette piste appelée à accueillir les Jeux de 2004, le 16 juin. Ce jour-là, Mo, qui avait, depuis longtemps, envie d’effacer le vrai-faux record de Ben Johnson, a réalisé son rêve, couvrant le 100 m en 9.79. Il est le premier sous les 9.80.
- 2008 Bolt 9.69
Seul Tyson Gay a couru plus vite que le chrono signé par Usain Bolt, le 16 août, à Pékin. C’était en juin, à Eugene, lors des trials américains, mais avec un vent favorable de... 4,1 m/s, soit beaucoup trop élevé pour que le chrono de l’Américain soit homologué. Usain Bolt est donc le premier athlète à être descendu officiellement sous les 9.70. Cette année-là, 14 coureurs réalisèrent l’exploit de courir sous les 10 secondes… 53 fois au total…
- 2009 Bolt 9.58
Un éclair dans la nuit berlinoise. Usain Bolt explose son record du monde en 9 sec 58, le 16 août 2009 lors des Mondiaux (vent favorable de 0.9). Jusqu'en 2017, le Jamaïcain tenta bien de battre à nouveau son record du monde, sans approchant parfois, comme les JO de Londres en 2012 (9.63), mais il ne descendit plus sous les 9.60…
21
En 2018, 21 athlètes sont passés sous le mur des 100. Le meilleur temps a été réalisé par l'Américain Christian Coleman, 9.79 à… Bruxelles, lors du Mémorial Van Damme.
137
Ils sont officiellement 137 à ce jour à avoir couru le 100m sous les 10 secondes.
L’évolution du record du monde sous les 10 secondes
- 9.95 Jim Hines (USA) 14/10/68 Mexico
- 9.93 Calvin Smith (USA) 03/07/83 Colorado Springs
- 9.92 Carl Lewis (USA) 24/09/88 Séoul
- 9.90 Leroy Burrell (USA) 14/06/91 New York
- 9.86 Carl Lewis (USA) 25/08/91 Tokyo
- 9.85 Leroy Burrell (USA) 06/07/94 Lausanne
- 9.84 Donovan Bailey (Can) 27/07/96 Atlanta
- 9.79 Maurice Greene (USA) 16/06/99 Athènes
- 9.77 Asafa Powell (Jam) 14/06/05 Athènes
- 9.77 Asafa Powell (Jam) 11/06/06 Gateshead
- 9.77 Asafa Powell (Jam) 18/08/06 Zürich
- 9.74 Asafa Powell (Jam) 09/09/07 Rieti
- 9.72 Usain Bolt (Jam) 31/05/08 New York
- 9.69 Usain Bolt (Jam) 16/08/08 Pékin
- 9.58 Usain Bolt (Jam) 16/08/09 Berlin